Il y a là un silence. Un silence de perdition, une écorchure sur les lèvres, les maintenant closes. Il y a là un silence. Mais c’est aussi un doux silence. Un silence de naufrage terminé, de tourments conscientisés, voire maîtrisés. Certaines absences, qui en créent d’autres, se cachent dans les poupées russes de mes souvenirs. Et l’incertitude de leur existence y laisse des images vaporeuses, floues. Les non-dits se réfugient dans les contrastes de mes photographies. La frontière entre le noir et le blanc est parfois irrégulière, sans fluidité, saccadée. Le passage entre la lumière et l’ombre, qui n’est autre que l’absence de lumière, peut être violent, abrupt, et d’autrefois, ruisseler délicatement de ces grains d’argent sur qui les choses ont plus ou moins brillé. Ces grains d’argent qui peuvent brouiller la vue, pour finalement donner à voir autre chose que le visible. Les saccades séparant le visible de l’invisible, l’ombre de la lumière, le noir du blanc, et autres petites contradictions. Elles se mélangent ici par des mouvements incontrôlés, sans attache, s’entrechoquant à certains égards. Elles se fondent pour créer quelques interstices de gris nuancés, et nuançant.
Ces saccades inconscientes sont retranscrites par les saccades oculaires. Ces mobilités fixant le regard, pour ensuite le bouger, et le fixer à nouveau. Les yeux cherchent, scrutent, explorent, captent l’image. Dans cette série, le regard derrière l’objectif est attentif, a de l’emprise sur l’appareil photo. Et pourtant, ceux qui se trouvent devant lui sont détournés. L’emprise serait-elle inversée depuis le début ? Qui déclenche quoi ?
Dans ces photographies, apparaissent des anomalies du spectre lumineux au travers de la lentille - mais en sont-elles vraiment ? Puis apparaissent, en deçà, des spectres du subconscient. Là où sont enfuis les désirs et les angoisses. En somme, le reliquat des expériences passées. Dans les saccades se faufile également - dans un S coupé en deux - le mot italien “accade” (du verbe accadere), traduisible par “se passer”, “se produire”. Parce qu’à première vue le mot ne se voit pas, et le fil de cette série non plus. Il ne s’y passe rien, du moins, en apparence. Dès lors, la découverte d’un autre langage que le sien peut s’avérer utile, et modeler le regard, lui faire voir ce qu’il n’a jamais vu.
